Accord des Etats membres sur la directive relative aux travailleurs des plateformes numériques

In Actualité de l'Union européenne, Affaires sociales, Consommateurs, Emploi, Entreprises, Numérique- Digital by Occitanie Europe

Le 11 mars dernier, les ministres de l’Emploi et des Affaires sociales de Etats membres se sont accordés sur la très attendue et controversée directive relative aux travailleurs des plateformes numériques.

Cette directive, présentée par la Commission dès 2021, vise à créer une présomption légale de salariat pour les travailleurs des plateformes numériques telles qu’Uber, lesquels pourraient ainsi bénéficier de davantage de droits et de protections associés au statut d’employé.


Requalification à la carte du statut des travailleurs de plateformes

L’accord négocié a été décrit pas la rapportrice du Parlement Elisabetta Gualmini (S&D) comme « historique ». En effet, les plateformes numériques étant relativement récentes, elles sont au cœur d’un grand vide législatif, notamment concernant les personnels qui les font fonctionner, que l’Union européenne souhaite combler. Actuellement, les travailleurs des plateformes, qui représentent plus de 28 millions de personnes en Europe, sont considérés comme des indépendants et ne bénéficient pas d’un grand nombre d’avantages apportés par le statut d’employé comme les congés payés et les congés maladie.

Avec l’accord trouvé, issu d’un compromis, le mécanisme de présomption légale de salariat permettrait ainsi de reclasser les travailleurs en tant qu’employés si des preuves suffisantes montrent qu’il existe un lien de subordination clair entre le travailleur et la plateforme.

Le texte a toutefois été largement édulcoré au fil des longues et difficiles négociations dont il a fait l’objet. Alors que les premières versions prévoyaient des critères détaillés pour définir un lien de subordination et l’identifier, la version adoptée prévoit qu’une grande marge de manœuvre soit laissée à chaque Etat membre pour décider du statut des travailleurs. Elle exige seulement qu’une présomption légale soit créée dans leurs systèmes nationaux, sans information sur la mise en pratique et le déclenchement de la présomption de salariat.  Une qualification à la carte donc, très loin des premières propositions qui prévoyaient une uniformisation de la législation au niveau européen.

En outre, la directive approuvée prévoit la mise en place de règles de respect des données personnelles du travailleur telles que l’appartenance religieuse ou l’orientation sexuelle. Ainsi, il ne sera pas autorisé pour les plateformes de traiter des données et conversations privées qui n’ont pas de lien avec l’activité professionnelle du travailleur.


Déblocage grâce à la Grèce et à l’Estonie, la France et l’Allemagne isolées

Les négociations de l’accord ont duré plusieurs années et ont été particulièrement compliquées durant les derniers mois, au point qu’un fort doute s’installe sur la possibilité même que la directive soit approuvée avant les élections de juin. Ces négociations ont notamment été entravées par la France qui dénonçait au début une version de l’accord trop éloignée de la position du Conseil, puis qui s’est inquiétée d’une absence de critères clairs pour le mécanisme de présomption légale de salariat. Cela aurait pu, selon Paris, causer des confusions sur la situation des travailleurs véritablement indépendants et qui ne sont pas concernés par la directive.

Un autre sujet de discorde entre la France et le reste des Etats membres était le maintien du principe de flexibilité qui régit les plateformes numériques et qui a fait leur succès. Ces plateformes, modèles en plein essor et dont les activités sont désormais indispensables à l’économie, sont réputées pour offrir une liberté de choix au personnel et aux clients, liberté que le France promeut et soutient. Pour Paris, la directive représentait donc un risque pour le modèle de fonctionnement de ces plateformes et pour leur rôle dans l’économie du pays.

La France n’était cependant, à l’origine, pas le seul pays à exprimer son mécontentement. La Grèce et l’Estonie n’ont pas été convaincus au fil des négociations, s’inquiétant notamment de conflits que la directive pourrait créer avec leurs législations nationales sur l’emploi. Ces deux pays membres se sont donc abstenus à plusieurs reprises durant les dernières réunions d’ambassadeurs de l’Union européenne et ont formé, avec l’Allemagne, dont l’abstention relevait de conflits internes de coalition, et la France, une minorité suffisante pour bloquer l’adoption du texte.

Le vote a basculé à la dernière minute lorsque les ministres grecs et estoniens ont déclaré vouloir soutenir la directive, débloquant donc le dossier qui bénéficiait désormais d’une majorité suffisante pour que le texte soit adopté. La France et l’Allemagne, seuls pays à s’abstenir, se sont donc retrouvés très isolés.


Pour plus d’information

Print Friendly, PDF & Email