Système d’échange de quotas carbone de l’UE : les enjeux de stabilité et de gouvernance du marché à l’horizon 2030-2040

In Actualité de l'Union européenne, Énergie - Environnement - Climat, Industrie by Occitanie Europe

La Direction générale de l’action pour le climat de la Commission européenne (DG CLIMA) a publié, mardi 13 mai 2025, un rapport permettant d’appréhender les enjeux liés au système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (ci-après SEQE-UE).

Sur la base des résultats portés par la littérature scientifique et les retours des experts et parties prenantes, l’analyse identifie notamment les principaux risques liés à cet instrument de réduction des émissions de l’UE pour l'horizon 2030-2040.


Principe et fonctionnement du marché carbone dans l’Union européenne

Pour rappel, l’Union européenne a mis en place en 2005 un marché du carbone, également appelé système d’échange de quotas d’émissions (SEQE), qui est un des piliers de la politique climatique européenne.

Le SEQE, ou Emissions Trading System (ETS en anglais), est un système de plafonnement et d’échange d’émissions. Les autorités européennes définissent le nombre annuel maximal de « quotas carbone » (un quota d’émission équivaut à l’autorisation d’émettre une tonne de CO2) introduits sur le marché par rapport à l’objectif de réduction d’émissions. La mise sur le marché peut se faire soit par des ventes aux enchères, soit par l'allocation gratuite. Les entités assujetties (ou réglementées) s’échangent des quotas sur le marché, ce qui forme alors un prix de marché des quotas d’émissions. Sur la base du principe du pollueur-payeur, les exploitants concernés par le SEQE-UE sont incités à réduire leurs émissions de CO2 car ces émissions ont désormais un coût économique. Il est en effet rentable de réduire ses émissions si le coût d’abattement – c’est-à-dire le surcoût associé à une action de décarbonation – est inférieur au prix du quota d’émission.

Le SEQE-UE concerne plus de 11 000 installations industrielles à forte intensité énergétique, qui représentent environ 36 % des émissions européennes de dioxyde de carbone, principalement les installations de production d’énergie et de chaleur, les industries lourdes (raffineries, sidérurgie, métallurgie, chimie, etc.), l’aviation et les transports maritimes.


Maintenir la stabilité du marché

Le rapport de la DG CLIMA identifie la stabilité du marché comme la première problématique face à l’amenuisement progressif des quotas.

En effet, la réforme du SEQE de 2023 porte l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre couvertes par le SEQE à 62 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 2005. Cela implique une réduction immédiate du volume total de quotas disponibles de 90 millions en 2024, puis d’encore 27 millions en 2026, afin d’accélérer la baisse des émissions autorisées dans le cadre du marché carbone, et donc augmenter le coût du carbone. Au 11 avril 2025, le prix des quotas carbone européens atteignait ainsi 61,94 €/tonne de CO2 ou d’équivalent CO2 (tCO2e), contre 37,45 € en février 2021.

Le facteur de réduction linéaire passera à 4,3 % par an dès 2024, puis à 4,4 % à partir de 2028, ce qui pourrait conduire à une plus grande volatilité du prix du carbone. La Réserve de stabilité du marché (RSM), introduite en 2019, vise justement à assurer la stabilité des prix du carbone en régulant l’offre de quotas, par exemple en retirant les quotas excédentaires lorsque l’offre dépasse certains seuils, ce qui évite une baisse trop prononcée.

Le rapport identifie un risque de « spirale ascendante » encouragée par des comportements de mise en réserve spéculative.


L’incertitude sur les effets des émissions négatives

En outre, dans la perspective de la fin des nouveaux quotas du SEQE à partir de 2039, l’intégration potentielle des émissions négatives (ou élimination du dioxyde de carbone - CDR) inquiète. Ces pratiques ou technologies permettent de compenser les émissions générées en extrayant le CO2 de l’atmosphère et en le stockant durablement. Si ces technologies peuvent compenser certaines émissions résiduelles, leur fiabilité reste incertaine.

Les méthodes non permanentes, telles que les solutions fondées sur la nature, pourraient conduire à un risque d’inversion des émissions (les puits de carbone se transforment en sources en cas de saturation ou de destruction). Le financement nécessaire pour les CDR à long terme pourrait dépasser les recettes disponibles, et ce d’autant plus que celles issues de l'ETS sont déjà allouées à d’autres objectifs, comme la rénovation énergétique des bâtiments, le développement des panneaux photovoltaïques, des pompes à chaleur ou la mobilité électrique.


Les impacts redistributifs du SEQE-UE 2 et les risques de fuite de carbone

Le rapport détaille également les impacts distributifs du système. L’entrée en vigueur du SEQE-UE 2 (ou ETS 2) pour les secteurs du bâtiment et des transports, en 2027, pourrait s’accompagner d’une hausse conséquente des coûts pour les ménages.

Or, selon les experts sollicités, les mécanismes d’atténuation comme le Fonds social pour le climat et ses 86,7 milliards d'euros pourraient s’avérer insuffisants pour compenser les effets sociaux dans les États membres les plus vulnérables.

Enfin, le risque de fuite de carbone reste présent, et ce malgré le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM), qui ne couvre ni les exportateurs européens ni les produits transformés. Les industriels craignent également un contournement de la part des producteurs étrangers à travers la pratique du resource shuffling : il existe un risque, par exemple, que l’aluminium produit à partir de renouvelables soit exporté vers l’UE, tandis que l’aluminium produit à partir de ressources fossiles soit expédié vers d’autres marchés non européens.


Les recommandations du rapport

Au regard de ces enjeux, le rapport appelle à un renforcement de la gouvernance du SEQE, une révision anticipée de la Réserve de stabilité du marché d’ici 2026 et une approche plus intégrée des politiques climatiques et sociales.

Par ailleurs, une meilleure coordination entre politiques climatiques et sociales, garante d'une transition équitable tant entre États membres que pour l'ensemble de la société, est préconisée.


Plus d'informations :

Consulter le rapport

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