Avec les récentes victoires de l’extrême-droite aux élections européennes et lors de plusieurs élections nationales en Europe, la politique migratoire est de nouveau au cœur des débats européens. La Commission a par ailleurs proposé une révision de la Directive « retours », sujet qui a une fois de plus divisé le Parlement européen.
Quel avenir pour le Pacte asile et migration ?
- Le Pacte Asile et migration en bref
Le 14 mai 2024, le Conseil a adopté un pacte sur l’asile et la migration vu comme « une réforme historique du système européen d’asile et de migration » qui « établit un ensemble de règles » pour « gérer les arrivées de manière ordonnée, créer des procédures efficaces et uniformes et répartir équitablement la charge entre les Etats membres ».
Ce pacte regroupe 10 actes législatifs réformant notamment :
- Le Règlement sur le filtrage,
- Le Règlement sur les procédures d’asile,
- Le Règlement concernant la procédure de retour à la frontière,
- Le Règlement relatif à la gestion de l'asile et de la migration,
- Le Règlement relatif aux conditions que doivent remplir les demandeurs d'asile,
- La Directive relative aux conditions d'accueil,
- Le Règlement sur la réinstallation.
Cette réforme a également mis en place « la procédure obligatoire à la frontière » dont l’objectif est « d’évaluer rapidement, aux frontières de l’UE, si les demandes sont infondées ou irrecevables ». Par ailleurs, un mécanisme de crise a été introduit afin de garantir un partage plus équitable des responsabilités entre les Etats membres. Hors période de crise, la responsabilité des Etats membres lors d’une demande d’asile est précisée par de nouvelles règles (par exemple, si le demandeur a un membre de sa famille dans un pays de l’UE ou si la demande d’asile n’est pas déposée dans le pays par lequel est entré dans l’UE le demandeur).
Ce pacte avait été annoncé comme une priorité dès juillet 2019 par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. Il entrera en application en 2026.
- Aller plus loin ?
Cependant, lors du sommet européen qui s’est tenu les 16, 17 et 18 octobre 2024 à Bruxelles, les chefs d’Etat et de gouvernement européens ont « réclamé en urgence » une nouvelle législation pour encore accélérer les expulsions. Les conclusions du sommet indiquent ainsi : « Le Conseil européen appelle à agir de manière déterminée, à tous les niveaux, pour faciliter, accroître et accélérer les retours depuis l'Union européenne ».
Le 14 octobre 2024, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, avait d’ailleurs proposé une nouvelle législation à ce sujet.
Le commissaire désigné en charge des Affaires intérieures et de la Migration, Magnus Brunner, semble partager le point de vue de la présidente. Dans les réponses écrites aux questions des eurodéputés de la commission des Libertés civiles, de la Justice et des Affaires intérieures (LIBE), il a indiqué :
- Qu’il présentera une nouvelle Directive « retours » qui devra « accélérer et simplifier les retours, en définissant des obligations claires de coopération pour les rapatriés, en rationalisant efficacement la procédure, en numérisant la gestion des dossiers et en prévoyant la reconnaissance mutuelle des décisions de retour des uns et des autres » ;
- Qu’il soutient la proposition de la Commission de tripler les effectifs permanents de l’agence Frontex chargé de la gestion des frontières extérieures de l’UE ;
- Qu’il réitère l'engagement européen à lutter contre le terrorisme, le crime organisé ou le trafic de drogues.
Comme en 2018, le Parlement européen est divisé sur une possible révision de la Directive « retours ».
Les partis de gauche accusent le parti conservateur, le PPE, de « [céder] aux appels de l’extrême droite et à la propagande populiste sur l'immigration » (Saskia Bricmont, Verts/ALE, Belgique).
Le PPE est en effet en faveur d’une révision rapide de la Directive. Selon Tomas Tobé (PPE, Suède), il faut « reprendre le contrôle de la migration ». Il estime qu’une nouvelle proposition devra donc être faite « dans les 100 jours » du mandat du nouveau commissaire.
Le groupe Renew se prononce également en faveur d’une révision mais appelle à « résister à la démagogie et aux fausses solutions » (Valérie Hayer, Renew, France).
L’Italie et la Hongrie prises en exemple ?
- L’Italie et les « centres de retour »
L’un des points de crispation autour de la révision de la Directive « retours » est la mise en place de « centres de retour » (« return hubs »). Cette proposition viserait les demandeurs d’asile dont la demande a été rejetée.
Aujourd’hui, lorsqu’un demandeur d’asile voit sa demande refusée, il reste dans un Etat membre jusqu’à son expulsion. Cette proposition permettrait de « transférer » les migrants dont la demande a été rejetée dans des structures situées en dehors du territoire de l’UE, avant une expulsion définitive vers leur pays d’origine.
Plusieurs pays ont déjà mis en place individuellement des mesures similaires notamment le Royaume-Uni, le Danemark et l’Italie.
Le gouvernement italien de Giorgia Meloni, qui a été cité en exemple par la présidente de la Commission, a ainsi signé un protocole à long terme avec l’Albanie pour faire construire et gérer deux centres de traitement dans ce pays. A l’inverse de la proposition européenne, ces centres italiens en Albanie serviraient « à traiter rapidement les demandes et à décider quel demandeur a droit à une protection internationale » et non à héberger à long terme les demandeurs d'asile déboutés. Ces centres bénéficieront d’environ 670 millions d'euros pour les cinq prochaines années.
Au Royaume-Uni, l’ancien Premier ministre anglais, Rishi Sunak, avait fait polémique en défendant les expulsions de demandeurs d’asile vers le Rwanda en 2023. La même année, le pays avait mis en place le « Bibby Stockholm », une barge destinée à accueillir des demandeurs d’asile dans l’attente de l’octroi d’un titre de séjour.
En septembre 2024, le nouveau Premier ministre anglais, Keir Starmer, qui a rejeté l’accord avec le Rwanda, a rencontré Giorgia Meloni en Italie. Il s’est dit « intéressé » par les méthodes utilisées par le gouvernement italien en soulignant « des progrès remarquables » sur la question migratoire.
Au Parlement européen, les partis de gauche ont appelé la Commission à « abandonner son idée de centres de retour » (Iratxe Gárcia Pérez, S&D, Espagne). Le groupe Renew s’est également prononcé contre cette mesure.
Par ailleurs, la question de la légalité de tels camps se pose : l’accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda a été contesté devant la Cour suprême britannique avant d’être annulé ; les juges de Rome ont annulé le premier transfert de migrants dans le cadre de l’accord entre l’Italie et l’Albanie ; et la Commission a estimé en 2018 que les « centres de retour situés à l'extérieur » de l’UE seraient illégaux, car le droit européen interdit d'envoyer des migrants "contre leur gré" dans un pays dont ils ne sont pas originaires ou qu'ils n'ont pas traversé.
- La Hongrie et la création d’un organe européen sur les questions migratoires
Le gouvernement de Viktor Orban tient lui aussi des discours anti-migrants très durs. Lors d’un rassemblement avec Matteo Salvini, vice-Premier ministre italien, le 6 octobre, Viktor Orban a réitéré ses menaces d’envoyer les migrants se trouvant en Hongrie vers Bruxelles par bus si la Hongrie ne récupèrait pas les 200 millions d’euros d’amende reçus pour non-respect des traités en matière de droit d’asile.
Comme le gouvernement italien, il pense que l’UE doit créer des « hot spots » en dehors de l’UE pour traiter les demandes d’asile.
Par ailleurs, il souhaite créer un nouvel organe européen, similaire à l’Eurogroupe, pour traiter des questions migratoires. Selon lui, l’Eurogroupe est « un organe très efficace. La Hongrie propose de créer un organe similaire pour les pays membres de l’espace Schengen. Ces pays, qui défendent les frontières extérieures de l’Europe, se réuniraient au plus haut niveau, et ce sont eux qui prendraient les décisions. »
Quid des droits humains ?
- Un rapport de chercheurs appelle les Etats membres à revoir les méthodes qu'ils utilisent
Ces propositions et déclarations vont à l’encontre des conclusions de l’évaluation de la politique migratoire européenne menée par des chercheurs à la demande de la Commission. Présentées en septembre 2024, les conclusions de ce rapport étaient :
- Que les Etats membres revoient les méthodes qu’ils utilisent,
- De mener de vraies analyses coûts/bénéfices pour voir si une régularisation des migrants ne serait pas plus bénéfique à la société que de procéder aux retours,
- De n’utiliser la détention des migrants qu’en dernier recours,
- De mieux définir la notion de "retours" et de l'aligner davantage sur les standards des droits de l’homme.
- Enquête sur la gestion migratoire par la Tunisie et les financements européens
Par ailleurs, la situation actuelle pose également question. Le 23 octobre, la Médiatrice européenne, Emily O’Reilly, a critiqué la Commission européenne « pour son manque de transparence concernant les informations relatives aux droits de l'homme sur lesquelles elle s'est basée avant de signer un accord avec la Tunisie, qui inclut des fonds de l'UE pour la gestion des frontières ».
Dans le cadre d’une augmentation « considérable » du nombre de migrants « voyageant depuis et à travers la Tunisie vers l’Europe », la Commission et la Tunisie avait signé en 2023 un protocole d’accord relatif à un partenariat global. Sur la base de ce protocole, l’UE avait fourni des financements supplémentaires à la Tunisie pour « la formation et le soutien technique à la gestion des frontières ».
La gestion des migrants par la Tunisie a cependant été vivement critiquée après les propos polémiques tenus par le président Kaïs Saïed sur la migration irrégulière et la publication en décembre 2023 du rapport intitulé « Les routes de la torture » par l’Organisation mondiale contre la torture. La Médiatrice européenne a alors demandé à la Commission « comment elle entendait garantir le respect des droits de l’homme dans le contexte des fonds de l’UE prévus au titre du protocole d’accord et comment elle entendait atténuer les risques de violations des droits de l’homme ». Jugeant les réponses de la Commission insuffisantes, une enquête a été ouverte en avril 2024.
Dans ses conclusions d’octobre 2024, la Médiatrice européenne note que « la Commission n'a publié aucune information sur l'exercice de gestion des risques sur lequel elle s'est appuyée pour le protocole d'accord de 2023, malgré les préoccupations publiques concernant la situation des droits de l'homme en Tunisie, notamment en ce qui concerne le traitement des migrants » bien qu’elle « ait vérifié la situation des droits de l'homme en Tunisie ».
La Commission a réagi en indiquant que « l'UE est un fervent promoteur et un fervent défenseur du respect des droits de l'homme dans le monde entier, y compris en Tunisie. Et bien sûr, comme nous l'avons mentionné, nous prenons note de la décision et des suggestions d'amélioration et nous réitérons notre engagement total en faveur de la transparence et de la responsabilité ».
Plus d'Information :
Communiqué du Conseil sur l'adoption du pacte asile et migration (mai 2024)