La stratégie européenne pour le renouvellement des générations agricoles

In Actualité de l'Union européenne, Agriculture - Développement Rural by Occitanie Europe

La Commission européenne a récemment publié sa stratégie européenne pour favoriser l’installation des jeunes agriculteurs dans toute l’Union.


Contexte

Au moment où l’agriculture européenne traverse de profondes mutations (pression sur les revenus, évolution des marchés, transition écologique, fragilité des services en zones rurales), la question de l’avenir du secteur se pose avec une acuité particulière.

Dans de nombreux territoires, les départs à la retraite se multiplient tandis que les exploitations doivent s’adapter à de nouvelles attentes économiques, environnementales et sociétales.

Ce contexte interroge la capacité de l’Union européenne à garantir, dans la durée, la vitalité de ses campagnes et la sécurité alimentaire de ses citoyens.


Une démographie agricole en déclin rapide

La Commission européenne dresse un constat sans appel : l’agriculture européenne vieillit, et elle vieillit vite. Aujourd’hui, seuls 12 % des agriculteurs ont moins de 40 ans et, dans plusieurs États membres, l’âge moyen dépasse 60 ans.

Les jeunes femmes sont encore plus sous-représentées : à peine une sur vingt dirige une exploitation.

Si la France fait figure d’exception relative, la tendance européenne est suffisamment marquée pour menacer la capacité du continent à maintenir sa production et à assurer sa sécurité alimentaire dans les prochaines décennies.

Au-delà des chiffres, ce vieillissement s’accompagne de défis structurels profonds : difficultés d'accès à la terre, coûts d’investissement élevés, manque de garanties pour les prêts, formation parfois insuffisante, inégalités d’infrastructures entre territoires ruraux. À cela s’ajoute un système de transmission fragilisé par des pensions agricoles faibles, poussant nombre d’exploitants à retarder leur départ. Autant d’obstacles qui freinent l’installation de la nouvelle génération.


Une stratégie européenne basée sur trois piliers

Pour répondre à cet enjeu démographique, la Commission élabore une stratégie qui s’articule autour de trois niveaux complémentaires : la PAC, les autres politiques européennes, et les mesures nationales, qui doivent refléter la diversité des systèmes agricoles et des organisations territoriales.

Cette approche reflète une réalité politique : la plupart des leviers de renouvellement (foncier, fiscalité, succession) relèvent des États membres ou des régions.

La Commission propose donc un cadre commun, tout en laissant aux gouvernements nationaux et, le cas échéant, aux autorités régionales, la responsabilité de concevoir et d’ajuster leur propre stratégie. D’ici 2028, chaque État membre devra présenter un plan national articulé autour de ce diagnostic européen.


Deux objectifs emblématiques

La stratégie s’accompagne de deux objectifs chiffrés, définis comme “ambitieux mais nécessaires” par la DG AGRI :

  • doubler la proportion de jeunes agriculteurs d’ici 2040, en passant de 12 % à environ 24 % ;

  • porter à 6 % la part minimale du budget de la PAC consacrée aux jeunes, contre environ 3 % aujourd’hui.

Ce second objectif, très discuté au Conseil, vise à garantir une masse critique de financements en faveur des nouveaux entrants et des jeunes chefs d’exploitation, notamment dans le premier pilier.


Des initiatives phares pour lever les principaux freins

Pour concrétiser cette ambition, la Commission met en avant une série d’initiatives stratégiques.

  • Un Observatoire européen des terres : Prévu pour être opérationnel au début de l’année 2027, l’Observatoire doit améliorer la transparence du marché foncier, fournir des données harmonisées sur les prix et les transactions, et éclairer les politiques publiques. L’objectif : permettre une meilleure anticipation des transmissions, réduire la spéculation, et faciliter l’accès des jeunes à des terres disponibles.
  • Compétences, formation et mobilité : La stratégie insiste fortement sur la montée en compétences. La Commission envisage des partenariats renforcés avec la DG GROW, notamment via les programmes d’échange de type Erasmus pour jeunes entrepreneurs agricoles, et la promotion de compétences en gestion, innovation et développement durable. Des initiatives spécifiques s’adresseront aux femmes agricultrices, avec le lancement début 2026 d’une plateforme européenne dédiée.
  • Attractivité et sensibilisation : L’initiative “Les agriculteurs du futur” sera déployée dans les écoles et lycées agricoles pour présenter les perspectives du métier et valoriser les opportunités offertes par les transitions agroécologiques et numériques. Un réseau d’“ambassadeurs de la jeunesse rurale” sera également mobilisé.
  • Services ruraux et conditions de vie : Parce que l’installation ne dépend pas uniquement d’aides financières, la stratégie propose d’améliorer l’accès aux services dans les territoires ruraux, incluant les services de remplacement agricole. Finançables dans la PAC, ces services permettent de soulager temporairement les exploitants, contribuant à la santé mentale et au bien-être, un sujet de plus en plus central dans les discussions entre États membres.

Critères d’accès et définition des “nouveaux agriculteurs”

L’un des points clés pour le futur cadre PAC est la définition de qui peut être considéré comme “jeune agriculteur”. Les États membres devront fixer un seuil d’âge compris entre 35 et 40 ans au moment de la première demande. La condition d’être chef d’exploitation est maintenue, mais les exigences de formation devraient être assouplies pour s’adapter aux parcours variés.
La notion de “nouveaux agriculteurs” sera également élargie, s’inspirant du modèle français d’aide au démarrage, afin d’inclure des profils qui participeraient au renouvellement du tissu agricole.


Une mise en œuvre nationale et régionale, au plus près du terrain

La Commission rappelle qu’elle n’a pas vocation à imposer une architecture uniforme. Les États membres pourront choisir d’organiser leurs stratégies au niveau national ou régional.

Cette flexibilité est également nécessaire dans des contextes où l’entrée de nouveaux agriculteurs fait l’objet de débats politiques ou culturels intenses. L’Observatoire foncier devrait aider à objectiver ces discussions en fournissant une photographie plus précise des dynamiques territoriales.


Vers un modèle plus social et plus durable

La stratégie reconnaît explicitement que les nouveaux entrants sont plus enclins à adopter des pratiques durables : on observe aujourd’hui que la part d’agriculteurs biologiques est deux fois plus élevée chez les jeunes que dans la moyenne du secteur.
Pour autant, les jeunes placent la rentabilité au premier rang de leurs préoccupations. L’UE cherche donc à renforcer l’attractivité du secteur tout en consolidant les filets de sécurité existants, notamment dans les pays où les systèmes sociaux soutiennent efficacement les périodes de transition ou de difficulté.


Prochaines étapes

Les États membres devront intégrer le renouvellement des générations dans leurs Plans Stratégiques Nationaux. Le Comité européen des Régions prépare également un avis qui devrait orienter la dimension territoriale de la stratégie.
La mise en place de l’Observatoire européen des terres constituera l’un des outils déterminants pour suivre les évolutions, alimenter le Semestre européen et favoriser la diffusion des bonnes pratiques, comme celles observées en Autriche, souvent citée comme l’un des modèles les plus complets en Europe.


Pour plus d'informations

Article de la Commission

Article de la DG AGRI

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