Elections européennes : les leçons à tirer d’un tournant politique

In Actualité de l'Union européenne by Occitanie Europe

Près de 360 millions de citoyens européens étaient appelés aux urnes entre les 6 et 9 juin dernier pour élire les 720 députés qui siégeront au Parlement européen les cinq prochaines années. Si l'annonce par Emmanuel Macron de la dissolution de l'Assemblée nationale a quelque peu éclipsé l'analyse en France des résultats des élections européennes, ces derniers sont riches d'enseignements sur le climat politique européen marqué par la croissance de l'extrême droite.

L'extrême droite largement en tête en France

Parmi les 38 listes candidates en France, nombre record dans les 27 États membres, sept ont passé le seuil des 5 % leur permettant d'avoir des élus dans l'hémicycle. Ainsi, les 81 sièges alloués à la France seront répartis de la manière suivante :

  • La France revient !, menée par Jordan Bardella : 31,37 % des suffrages exprimés, soit 30 sièges ;
  • Besoin d'Europe, menée par Valérie Hayer : 14,60 %, soit 13 sièges ;
  • Réveiller l'Europe, menée par Raphaël Glucksmann : 13,83%, soit 13 sièges ;
  • La France insoumise - Union populaire, menée par Manon Aubry : 9,89%, soit 9 sièges ;
  • La droite pour faire entendre la voix de la France en Europe, menée par François-Xavier Bellamy : 7,25%, soit 6 sièges ;
  • Europe écologie, menée par Marie Toussaint : 5,50% , soit 5 sièges ;
  • La France fière, menée par Marion Maréchal : 5,47%, soit 5 sièges.

Ces résultats n'ont pas été sans conséquence sur le monde politique national. A l'issue des dépouillements, le soir même des élections, Emmanuel Macron annonçait la dissolution de l'Assemblée nationale. Constatant l'envolée du Rassemblement national, qui a obtenu un score deux fois plus important que la liste de la majorité présidentielle menée par Valérie Hayer, le Président de la République a choisi cette option radicale pour "redonner [aux Français] le choix de [leur] avenir parlementaire par le vote". Cette décision témoigne des effets substantiels des enjeux européens sur la vie politique française.

Qu'elle soit interprétée comme le résultat d'un vote sanction à la majorité présidentielle ou comme un vote d'adhésion, voire les deux, la percée du Rassemblement national est indéniable. Nonna Mayer, chercheure en science politique, revient dans les lignes du Monde sur "le succès spectaculaire de la liste RN". Lors des trois dernières élections européennes, le parti fondé par Jean-Marie Le Pen avait déjà capté plus de votes que les majorités en place, mais le fossé ne cesse de se creuser : de 1 point en 2019, il avoisine les 17 cette année. La stratégie de "dédiabolisation" entamée par Marine Le Pen il y a quelques années, et poursuivie par Jordan Bardella, porte ses fruits. L'image du parti, d'apparence plus lissé et modéré, attire de plus en plus d'électeurs, et notamment des femmes qui auparavant rejetaient les positions exprimées par le fondateur du parti. Par ailleurs, le RN recueille aujourd'hui des voix dans toutes les catégories sociales, bien qu'il réalise des scores plus importants dans les classes sociales défavorisées, qui s'estiment délaissées par les forces politiques au pouvoir. Enfin, une partie des classes moyennes, affectées par la baisse de leur pouvoir d'achat ces dernières années, se tournent de plus en plus vers le vote RN.

Recomposition des alliances au Parlement européen

Les eurodéputés se réunissent au sein de groupes politiques, actuellement au nombre de sept, qui rassemblent des élus de diverses nationalités selon leurs positionnements politiques. D'après les premières estimations du Parlement européen, l'hémicycle devrait être constitué de la manière suivante :

 

Nous observons un renforcement des groupes politiques à l'extrême droite de l'échiquier politique, composés des Fratelli d'Italia (24 sièges), du PiS polonais (20 sièges) ou encore du Rassemblement National, qui obtient le nombre de sièges le plus important, tous États membres compris. Cette recrudescence du vote d'extrême droite peut notamment s'expliquer par les crises multiples que connaît l'Europe depuis la crise financière de 2008 : la crise des réfugiés en 2015, la pandémie ou encore la guerre en Ukraine sont autant de facteurs de consolidation des partis nationalistes.

Pour autant, les performances des partis d'extrême droite varient d'un pays à l'autre et les deux principaux groupes, à savoir le PPE (centre-droit) et la S&D (social-démocratie), demeurent les deux forces politiques les plus fortes.

Cette nouvelle configuration politique aura tout de même des conséquences certaines sur la formation des coalitions. En effet, contrairement à l'Assemblée nationale, la majorité absolue ne peut pas exister au Parlement européen, élu selon un mode de scrutin proportionnel. Les groupes politiques doivent composer avec leurs homologues pour trouver des compromis, dans l'optique de dessiner des majorités sur chaque législation à voter. Dès lors, même si la montée de l'extrême droite ne s'est pas traduite par le raz-de-marée qui pouvait être attendu à l'échelle européenne, nous pouvons nous attendre à une recomposition des alliances sur des textes clés. Se pose alors la question de potentiels accords entre le centre-droit et les groupes d'extrême droite.

Cette restructuration de l'hémicycle pourrait avoir des conséquences rapides puisque les députés vont prochainement se prononcer sur la nomination des top jobs de l'UE, dont la présidence de la Commission européenne.

Des élections en (grande ?) partie guidées par des considérations nationales

Depuis les premières élections européennes au suffrage universel direct de 1979, de nombreux chercheurs en science politique les ont qualifiées d'élections "de second ordre". Ces dernières n'auraient que peu d'enjeux propres, ce qui expliquerait une participation plus faible en raison d'une politisation moins intense par rapport aux élections "nationales de premier ordre", au premier rang desquelles le scrutin présidentiel.

En effet, pour reprendre le cas français, les enjeux nationaux ont pesé considérablement dans la campagne des européennes. Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour expliquer cette persistance des enjeux nationaux : les thématiques imposées dans le débat par Jordan Bardella (contrôle des frontières de la France, lutte contre l'immigration, pouvoir d'achat), ou encore le fait que les sujets européens et la spécificité du fonctionnement des institutions européennes peuvent s'avérer complexes à appréhender. Par ailleurs, ce vote a souvent été perçu, en 2019 et en 2024, comme un référendum pour ou contre Emmanuel Macron, en vue de la prochaine élection présidentielle de 2027.

Ainsi, les électeurs ne seraient pas tant guidés par des enjeux européens que par des considérations nationales. Cependant, nous assistons à une européanisation croissante des débats depuis 2019. Les deux dernières campagnes étaient davantage focalisées sur des questions proprement européennes et des thématiques communes à l'ensemble des États membres. En cause : la pandémie, la guerre en Ukraine, l'inflation, la crise énergétique, le dérèglement climatique,...

En somme, la campagne des européennes de 2024 a été teintée à la fois de sujets nationaux et européens, les deux étant en réalité profondément liés. Dans l'ensemble des États membres, les considérations nationales ont nécessairement eu des effets sur le scrutin européen, chaque pays ayant ses problématiques politiques propres, mais l'européanisation des débats est manifeste.

La grande gagnante des élections : l'abstention

Les élections de second ordre sont également caractérisées par une plus faible participation par rapport au scrutin national de premier ordre qui l'a précédé. Il est vrai que les élections européennes drainent moins de votes que la présidentielle, qui mobilise largement les citoyens. Cependant, le tableau ci-dessous, qui recense les taux de participation en France aux trois dernières présidentielles, législatives et européennes, souligne le net recul de la participation aux législatives, tout particulièrement en 2017. Les autres élections, départementales et régionales notamment, ne sont pas épargnées. Ainsi, nous observons une hausse généralisée de l'abstention, qui n'apparaît plus comme une spécificité du scrutin européen. Le vote par intermittence progresse, tandis que l'écart de mobilisation électorale se creuse entre les catégories sociales défavorisées et les couches plus diplômées et aisées.

Présidentielle* Législatives* Européennes
2012 : 88 %

2017 : 85 %

2022 : 83 % 

2012 :  68 %

2017 :  59 %

2022 : 58 %

2014 : 42,4 %

2019 : 50,1 %

2024 : 51,49 %

*Part des inscrits ayant participé à au moins un tour du scrutin (source : INSEE).

 

Par ailleurs, la participation aux élections européennes a augmenté de 8 points en France entre 2014 et 2019, et ce taux de participation inédit, dépassant les 50%, s'est maintenu en 2024.

A l'échelle des 27 États membres, le taux de participation s'est élevé à 50,80%, après une nette augmentation de la mobilisation des électeurs ces dernières années (50,66 % en 2019, contre 42,6 % en 2014). Ce phénomène peut s'expliquer, comme nous l'avons vu, par l'européanisation des enjeux autour de thématiques communes, telles que la lutte contre la pandémie, la guerre en Ukraine, la crise énergétique ou encore le dérèglement climatique.

Dans les années 1990, Alain Garrigou, chercheur en science politique, démontrait l'importance de l'acculturation dans l'action du vote en France. Il étudiait ainsi "comment les Français sont devenus électeurs" après un long processus historique de construction de l'électorat. A l'aune des élections de 2019 et 2024, nous pouvons appliquer cette analyse au scrutin européen et poser la question suivante : après des années de désintérêt vis-à-vis de ces élections, les citoyens des États membres sont-ils devenus des électeurs européens, après des années de construction de l'UE et d'incorporation par les citoyens des enjeux proprement européens ?

 


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