Afin de parvenir à la neutralité carbone à l'horizon 2050, la Commission européenne a la volonté d'encourager les investissements durables en réorientant les flux financiers vers des projets à faible émission de gaz à effet de serre. Pour ce faire, les Etats membres de l'UE et la Commission européenne cherchent à définir ce que sont des investissements et des énergies durables via la taxonomie verte.
Lancée par la Commission européenne en 2018, l’idée de créer une taxonomie verte pour les activités économiques repose sur le fait de définir un seuil d’émissions de CO2 en-deçà duquel les entreprises seront considérées comme vertes. En juin 2020, le Parlement européen a adopté un règlement définissant cette taxonomie qui devrait entrer en vigueur en deux temps : d’abord partiellement, à la fin de l’année 2021, puis totalement, au début de l’année 2023. Comme une sorte de “boussole environnementale” pour l'UE, ce texte permettra aux investisseurs de savoir si leurs placements entrent en conformité avec les objectifs définis dans le Pacte vert pour l’Europe. La Commission européenne a présenté le premier acte délégué sur la taxonomie le 21 avril 2021, portant sur l'atténuation et l'adaptation au changement climatique. Le second acte délégué est attendu pour début décembre, et doit régler la question épineuse du gaz et du nucléaire, sujet largement débattu entre les Etats membres.
La France en tête sur l'inclusion du nucléaire
Lors d'une réunion extraordinaire fin octobre 2021, les ministres de l'Energie d'un groupe de dix Etats, mené par la France, ont soutenu l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie. Selon eux, c'est une source d'énergie faible en carbone et les déchets radioactifs peuvent être traités en toute sécurité si des mesures appropriées sont prises. De plus, la flambée des prix de l’énergie de ces dernières semaines a donné des arguments supplémentaires à cette alliance. Egalement, les défenseurs du nucléaire insistent du fait que cette énergie dépend moins des importations puisque l’uranium est disponible auprès de multiples sources et seule une petite quantité est nécessaire pour produire une grande quantité d’énergie. De plus, la plupart des exploitants stockent sur place des réserves d’uranium suffisantes pour garantir deux à trois ans d’exploitation. Pour appuyer leur position, un document visant à intégrer l’énergie nucléaire dans la taxonomie financière verte de l’Union européenne circulait à Bruxelles quelques jours plus tard. Celui-ci s'appuie sur les recommandations du Centre commun de recherche de l’UE, qui a conclu dans un rapport de juillet que l’énergie nucléaire était sûre et pouvait donc bénéficier d’un label vert dans le cadre de la taxonomie.
Des oppositions écologiques et juridiques
A l'inverse, ce document a été qualifié de « honte scientifique » par ceux qui s'opposent à l'inclusion du nucléaire dans la taxonomie et considèrent que cela porterait atteinte à la crédibilité de l’UE en matière de financement écologique. L'Autriche et le Luxembourg sont les plus fervents opposants au nucléaire. La ministre autrichienne de l’Énergie et du Climat, Leonore Gewessler a même confié que son pays était prêt à aller devant la justice si l’UE décidait d’inclure l’énergie nucléaire dans sa taxonomie verte. En effet, selon un rapport, l’inclusion de l’énergie nucléaire présentait une incompatibilité juridique avec l'article 10 du règlement sur la taxonomie. La ministre a également soutenu que cette énergie ne pouvait être considérée comme une alternative car elle n'est ni bon marché ni sûre. Son homologue luxembourgeois a insisté sur le temps qu’il faudrait pour construire de nouvelles centrales nucléaires. Selon lui, celles-ci ne seraient pas mises en service avant 2035 environ, ce qui les rendrait inutiles pour résoudre la crise énergétique de l’année actuelle. L'Allemagne, qui peine toujours à composer son nouveau gouvernement et qui s'était montrée plutôt neutre sur la question fin octobre, a finalement décidé de se ranger derrière ses voisins autrichiens et luxembourgeois. Une nouvelle alliance anti-nucléaire s'est donc formée durant la COP26 à Glasgow début novembre, réunissant l’Autriche, le Danemark, l’Allemagne, le Luxembourg et le Portugal.
Des ONG environnementales comme WWF ainsi qu'une vingtaine d'eurodéputés (essentiellement des Verts et des Sociaux-Démocrates) ont également mis en garde la Commission européenne contre l'inclusion de l’énergie nucléaire.
Des compromis politiques difficiles
L'eurodéputé français (Renew) et président de la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire au Parlement européen, Pascal Canfin, a tenté de proposer un compromis en incluant l’énergie nucléaire dans la taxonomie verte en tant que source d’énergie de « transition », tandis que l’Union européenne poursuivrait sa transition à long terme vers des sources d’énergie renouvelables. Mais cette proposition a été rejetée par la ministre autrichienne Leonore Gewessler.
Du côté de la Commission européenne, le consensus n'est pas non plus établi. En effet, le vice-président Frans Timmermans est ouvertement hostile au nucléaire tandis que la présidente Von der Leyen plaide pour davantage d’énergies renouvelables propres mais estime aussi nécessaire de disposer de sources d'énergies stables comme le nucléaire et, pendant une période de transition, de gaz. Une proposition est tout de même attendue d'ici la fin de l'année selon la Commissaire en charge de l'Energie, Kadri Simson.
Enfin, cette question ne peut pas être si facilement balayée par les Européens, dans la mesure où d’autres pays, comme le Royaume-Uni, les Etats Unis ou la Chine, travaillent aussi à l’élaboration de leur taxonomie et qu’ils comptent imposer leurs standards. Ainsi, cette taxonomie ne se limite pas aux frontières de l'UE.