Le désengagement des forces américaines d'Afghanistan, qui a de nouveau montré l'incapacité des européens à se maintenir sur un théâtre extérieur de manière autonome en août dernier, et la nouvelle alliance pour le pacifique entre l'Australie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis (AUKUS) annoncée le 15 septembre questionnent le rôle des européens dans les grands enjeux militaires contemporains. Ces événements ont à la fois soulevé de fortes critiques des européens face aux décisions américaines et renforce le désir de certains de Etats membres de voir émerger une réelle autonomie stratégique de défense en Europe.
En ce qui concerne la défense, l'ensemble des partenaires européens sont d'accord sur un point, il est dangereux de s'isoler de quelques formes d'alliance dans un monde où les enjeux géopolitiques évoluent rapidement. Les divergences apparaissent au moment de savoir avec qui il est intéressant de s'allier. Et bien que la politique de défense commune de l'Union européenne soit prévue par le traité de Lisbonne (article 42, paragraphe 2), le texte énonce aussi clairement la primauté de la politique de défense nationale, par exemple en laissant le choix d'adhérer à l'OTAN ou de rester neutre.
Vers la fin du parapluie américain ?
Parmi les dirigeants européens plaidant pour un renforcement de la défense européenne, Emmanuel Macron en est un des principal porte voix. A la différence de ses prédécesseurs opposés à une idée de Défense européenne commune, le président français appelle depuis 2017 à ce que " l’Europe [se dote] d’une force commune d’intervention, d’un budget de défense commun et d’une doctrine commune pour agir". Ses oppositions vis à vis de la politique étrangère américaine sous l'ère Trump jusqu'aux récentes décisions du président Biden, et sa considération pour l'OTAN, qu'il considère en état "de mort cérébrale", ne font que renforcer sa doctrine européenne de la défense et il ne cesse d'encourager l'UE et les autres dirigeants à atteindre cet objectif. Dernièrement, lors d'une rencontre à l'Elysée avec le premier ministre néerlandais Mark Rutte, ils ont de nouveau insisté sur ce point en publiant un communiqué commun pressant l'UE de développer son "autonomie stratégique".
Au niveau européen, suite aux décisions américaines, le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a constaté le jeudi 2 septembre, à l'issue d'une réunion en Slovénie des ministres de la Défense de l'Union européenne (UE), que "nos retards en matière d'autonomie stratégique ont un coût et que la seule manière de progresser est de combiner nos forces et de renforcer non seulement nos capacités, mais aussi notre volonté d'agir". Il donne ainsi rendez vous aux Etats membres le 16 novembre prochain pour décider d'une possible création d'une force de réaction rapide européenne composée de 5 000 hommes.
La population européenne semble également de plus en plus favorable à une politique de défense et de sécurité commune. En effet, selon un Eurobaromètre sur la sécurité et la défense publié en 2017 75% des européens y sont favorables et 55% souhaitent la création d'une armée européenne. Pourtant les opinions sont inégalement répartis sur le territoire puisque certains comme la Pologne ou les Etats baltes en sont moins convaincus.
Des divergences politiques au manque de moyens
Un certain nombre d'obstacles empêchent la mise en place d'une réelle politique de sécurité commune en Europe.
Tout d'abord, les perceptions des menaces ne sont pas les mêmes sur l'ensemble du territoire. Par exemple, les pays de l'Est avec la Pologne en tête, voient la Russie comme une réelle menace que seul l'OTAN et les Etats-Unis peuvent contenir. Leurs relations avec le voisin russe du XX° siècle et l'annexion de la Crimée en 2014 par Moscou a réveillé les craintes des populations d'Europe de l'Est. Au contraire, la Russie est perçu comme un partenaire indispensable par l'Allemagne au niveau énergétique par exemple.
Les capacités matériels de l'UE sont également un frein au développement d'une défense commune efficace. Selon Rafael Loss, un expert des questions de défense au Conseil européen pour les relations internationales, "l'UE manque d'outils indispensables, comme des avions de transport stratégique pour déplacer rapidement les hommes et les équipements, ou des satellites capables d'assurer le renseignement, la surveillance et la reconnaissance avant et pendant le déploiement des troupes". Ce manque de matériel provient du faible budget alloué à la défense parmi les pays européens. Bien que tous les membres de l'OTAN aient augmenté leurs dépenses en matière de défense (sauf les Etats-Unis) depuis l'annexion de la Crimée, seulement neuf Etats de l'UE ont atteint l'objectif des 2% fixé par l'organisation. A nouveau, parmi ceux-là, on retrouve la Pologne et les Etats baltes.
Enfin, un autre obstacle important provient de l'institution même du Conseil Européen, seul organe européen réellement capable de décider de la politique de défense commune et composé des chefs d'Etat et de gouvernement. En effet, le vote à l'unanimité étant requis et au vu des divergences d'opinions entre les Etats membres, les futures actions militaires conjointes risquent davantage de reposer sur des coalitions de pays volontaires pour des missions bien spécifiques. Cela s'est récemment illustré par la signature d'un accord de coopération en matière de défense entre la Suède, la Norvège et le Danemark ou entre la France et la Grèce.
Une Défense européenne à petits pas
Malgré tout, l'Union européenne ne cesse de renforcer sa politique de défense à l'image de nombreuses initiatives. Tout d'abord, depuis 2017, une coopération structurée permanente a été lancée dans la ligné du Traité de Lisbonne afin de renforcer les capacités de l’UE à assurer la sécurité en regroupant les ressources des États membres. Pour compléter ce programme, depuis 2018 l'Initiative européenne d'intervention, impulsée par la France, consiste à créer les conditions préalables à la conduite d’engagements opérationnels conjoints dans divers scénarios d’intervention militaire prédéfinis. Cette coopération constitue une première concrétisation des propositions formulées par Emmanuel Macron en 2017 et comprend dorénavant 13 membres (dont la Norvège et le Royaume Unie). Des premières missions dans le golfe arabo-persique ont déjà pu être menées conjointement. Des plans pour améliorer la gestion des crises ont également été mis en place à travers un programme de mobilité militaire et d'une nouvelle structure de commandement et de contrôle (MPCC) entre les Etats membres.
Enfin, à défaut d'avoir une armée européenne, le Parlement européen et le Conseil ont adopté le premier Fond européen de la défense (FED), destiné à financer la recherche et le développement de programmes industriels dans le domaine de la défense sous le nouveau cadre financier pluriannuel 2021-2027. Le FED dispose d’un budget de 7, 9 milliards d’euros pour la période 2021-2027, dont 1,2 milliard pour les appels 2021. Le FED remplace les coopérations industrielles initiées par l’action préparatoire sur la recherche en matière de défense (Preparatory Action on Defence Research - PADR) et le programme européen de développement de l’industrie de défense (PEDID) sous l’ancien cadre financier pluriannuel 2014-2020.